Cultiver la Persuasion dans la tech : Un Atout personnel et Collectif
Quand on devient tech lead ou manager, les softs skills deviennent le levier principal pour augmenter son impact. L’une des compétences les plus importantes pour développer son leadership est de savoir convaincre. Bien qu’utile au niveau individuel, cette compétence peut également être cultivée au sein d’une équipe pour créer un terrain de confiance qui favorise l’échange et facilite le travail d’équipe.
Cet article explore de manière approfondie les principes fondamentaux de la persuasion et de l’influence, spécifiquement adaptés au contexte du développement logiciel et offre des exemples concrets pour intégrer ces principes de persuasion dans votre quotidien professionnel.
La science de la persuasion se fonde sur six grands principes :
Le principe de l’appréciation
S’intéresser aux autres et se découvrir des points communs permet de tisser un lien authentique. En télétravail, où les interactions peuvent devenir transactionnelles, créer des occasions informelles est plus difficil mais d’autant plus crucial.
Formuler des feedbacks positifs, du moment qu’ils sont sincères est aussi une façon efficace de cultiver des relations ou d’en améliorer. On a tendance à se focaliser sur le négatif, les axes d’améliorations ou les performances exceptionnelles mais il est sain de célébrer le fait de “juste” faire son travail correctement.
Ce qui est d’autant plus intéressant c’est qu’en tant que leader vous avez certainement le pouvoir de provoquer des événements permettant de créer du lien non seulement entre vous et vos collaborateurs mais aussi entre eux et ainsi faciliter les échanges au sein de l’équipe.
Quelques exemples, principalement applicables en remote :
- Organisez des événements “Come as you are” où les membres de l’équipe partagent leurs passions non liées au travail. Par exemple, un projet personnel, une technologie qu’il explore en dehors du bureau, ou un hobby créatif. Cela favorise la découverte de points communs et renforce les liens au sein de l’équipe.
- Coffee virtuel : Instaurez un coffee virtuel périodique, dédié aux discussions informelles. Cela offre un espace détendu pour discuter de sujets variés, allant des intérêts personnels aux dernières tendances technologiques. Ces moments favorisent la création de liens et permettent aux membres de l’équipe de mieux se comprendre
- Rencontres sur site et team building : Même en travaillant à distance, envisagez des rencontres sur site périodiques et des activités de team building. Ces événements offrent une opportunité précieuse pour que l’équipe se connecte en personne, renforçant ainsi les relations établies en ligne.
Le principe de réciprocité
Nous avons naturellement tendance à traiter notre prochain de la même façon qu’il nous traite. Qu’il s’agisse de faire confiance, de faire preuve d’esprit d’équipe ou de bienveillance, vous devriez toujours vous comporter comme vous souhaitez voir les autres le faire.
Exemples :
- Reconnaissance des succès : Faites preuve de reconnaissance envers vos collaborateurs lorsqu’ils accomplissent des réussites significatives. Par exemple, après la livraison d’une fonctionnalité cruciale. Organisez un déjeuner, envoyez des cadeaux, ou exprimez simplement votre gratitude de manière tangible qui va au-delà d’une simple tape dans le dos, renforçant le sentiment d’accomplissement et de valorisation au sein de l’équipe.
- Collaboration inter-équipes : Manifestez la réciprocité en prêtant main-forte à d’autres équipes lors de projets transversaux. En offrant votre expertise ou vos ressources, vous favorisez un environnement où le succès n’est pas seulement individuel mais également collectif. Cette attitude renforce la solidarité et crée une culture où l’entraide est valorisée.
- Confiance proactive : Accordez votre confiance par défaut aux nouveaux collaborateurs. Donnez-leur l’opportunité de s’épanouir en montrant que vous croyez en leurs compétences. Réservez le réexamen de cette confiance seulement en cas de nécessité, démontrant ainsi une approche positive et constructive dans les relations professionnelles.
Le principe de la preuve sociale
Ce principe repose sur notre tendance naturelle à être influencés par les actions et opinions de notre entourage. Par exemple, vous avez sans doute tendance à accorder plus de poids à l’avis de vos amis qu’à ceux de clients anonymes concernant un produit. Dans le contexte professionnel, cette influence est souvent plus significative lorsqu’elle émane de pairs plutôt que de figures d’autorité verticales.
Exemples:
- Témoignages d’équipe : Encouragez les membres de votre équipe à partager leurs succès et expériences. Ces témoignages peuvent être présentés lors de réunions d’équipe, de présentations de retour d’expérience ouvertes à toute l’entreprise ou même lors d’événements publics. Mettre en avant les réalisations individuelles et collectives permet de renforcer la confiance et l’estime au sein de l’équipe.
- Partage de bonnes pratiques : Facilitez les échanges horizontaux en encourageant le partage de bonnes pratiques entre les membres de différentes équipes. Cela peut se faire à travers des sessions dédiées (en guilde si vous en avez). La mise en lumière des réussites de pairs renforce la crédibilité des approches adoptées.
- Collaboration transparente : Encouragez une culture de collaboration transparente où les succès et les défis sont partagés ouvertement. Les équipes qui communiquent de manière transparente sur leurs projets, leurs processus et leurs résultats renforcent la confiance mutuelle. Cette transparence contribue à créer une preuve sociale positive, montrant que les accomplissements sont le résultat d’un effort collectif.
Imaginons qu’un développeur, Thomas, ait résolu un problème complexe en utilisant une approche novatrice. Vous encouragez Thomas à partager cette expérience lors d’un moment d’échange pour la tech en interne, décrivant le défi initial, la solution mise en œuvre et les résultats obtenus. Cette présentation offre une preuve sociale tangible de la compétence de Thomas et peut inspirer d’autres membres de l’équipe à explorer des approches créatives dans leurs propres projets.
Le principe de cohérence
Vous êtes déjà sorti d’une réunion ou des décisions importantes ont été prises pour voir qu’ensuite rien ne se passe et refaire la même réunion la semaine suivante ? Le souci n’est pas une quelconque mauvaise volonté. Votre collègue qui a dit haut et fort qu’il prenait le point le pensait vraiment. Seulement, si personne ne s’est engagé publiquement, il y a un risque pour que chacun pense que c’est à un autre de traiter le point. Un “On va en discuter avec X et voir qui prend le sujet” ne mène souvent nulle part.
La cohérence, en matière de persuasion, repose sur l’engagement public et la responsabilité individuelle. C’est un principe puissant qui augmente la probabilité que les décisions et les engagements pris soient suivis d’actions concrètes. Les études montrent notamment qu’un engagement écrit augmente considérablement les chances qu’il soit respecté.
Attention toutefois, pour être efficace, l’engagement doit être librement consenti. Qu’il s’agisse de la définition d’un objectif ou d’une tâche à livrer, imposer contre son gré un engagement en fait un fardeau. Pire, cela a toutes les chances de conduire à l’effet inverse.
Exemples:
- Engagements publics sur Slack : Instaurez une pratique où les membres de l’équipe réagissent à une question sur Slack par un emoji, indiquant leur volonté d’investiguer ou de contribuer à la réponse. Cet engagement public crée une responsabilité individuelle
- Attribution de tâches sur les outils de suivi de projet : Lorsqu’un collaborateur donne son accord pour une tâche, demandez-lui de créer une carte dans l’outil de suivi de projet (comme Jira) ou de s’assigner si elle existe déjà. Ceci assure une traçabilité claire des responsabilités et favorise l’engagement individuel envers la réalisation de la tâche.
- Clarifier les actions post-réunion : A la fin d’une réunion, si des actions doivent être menées, expliciter qui est responsable de quoi et mettre le par écrit dans un CR partagé.
- Contextualisation et communication des bénéfices : Lors de la définition d’objectifs ou de tâches, expliquez le contexte et les raisons derrière la demande. Mettez en lumière les bénéfices attendus afin que les collaborateurs comprennent l’importance que leur travail revêt. Cela renforce la cohérence en alignant les actions individuelles sur les objectifs globaux.
Le principe d’autorité
Le principe repose sur le fait que certaines questions sont tellement complexes et nécessitent des connaissances et des expériences tellement pointues que ceux qui ne les possèdent pas n’ont pas d’autre choix que de se fier à des experts.
Il a généralement beaucoup de poids dans l’IT, mais posséder une expertise ne suffit pas pour convaincre. Encore faut-il savoir la communiquer.
Ne supposez pas que votre expertise est évidente pour les autres. Sans aller jusqu’à développer une stratégie de personal branding, il ne faut pas hésiter à placer, par petite touche, une anecdote sur un cas difficile que l’on a rencontré par le passé, parler des difficultés que l’on a rencontré dans un apprentissage, faire un parallèle avec une situation similaire qu’on a connu, etc, du moment que cela s’inscrit naturellement dans la conversation ou l’enrichir. En revanche, évitez de tomber dans la vantardise. Optez pour une communication humble et orientée vers la résolution de problèmes. L’objectif est de montrer votre expertise de manière authentique sans créer de distance avec votre audience.
Si vous êtes junior, concentrez-vous sur le développement progressif de votre expertise technique. Assurez vous de participer à des projets complexes et innovants, continuez à apprendre, trouvez un mentor pour vous aider. L’autorité technique s’acquiert avec le temps et la pratique.
Le principe de rareté
Il est bien connu que la rareté réelle ou perçue influence considérablement la valeur que l’on accorde au sujet. Ce principe est efficace lorsqu’il s’agit d’obtenir une réaction si on exprime ce que l’on risque à ne rien faire. Bien entendu, la proposition et son aspect exclusif doivent être réels. Il serait immoral et contre productif de chercher à tromper ses collègues.
Exemple :
- Prévenir qu’il s’agit de la dernière semaine avant vos vacances pour traiter le sujet X avec vous car il sera trop tard à votre retour.
- Informer de manière transparente sur des opportunités de mobilité interne ou des projets spécifiques qui se refermeront bientôt.
- Partager une information qui n’est pas largement disponible et pertinente dans votre contexte. Par exemple, en fournissant des détails sur une nouvelle technologie émergente avant qu’elle ne devienne largement connue, vous positionnez l’information comme rare et précieuse.
Conclusion
Pris séparément, ces principes semblent intuitifs. En revanche, les mobiliser en synergie augmente leur impact. Par exemple, une conversation informelle est autant l’occasion de mettre en application le principe de la preuve sociale, d’autorité et d’appréciation en distillant des informations sur son expertise, en découvrant des points communs et complimentant avec sincérité.
Si vous êtes junior, introverti ou souffrez du syndrome de l’imposteur, vous devrez peut-être mener un travail plus approfondi sur vous-même avant de pouvoir mettre en pratique plus efficacement ces principes. Les axes de développements les plus courants sont la confiance et l’estime de soi, l’ouverture aux autres et la communication interpersonnelle. N’hésitez pas à rechercher l’aide d’un mentor ou participer à des événements sur le sujet si vous ne savez pas par ou commencer. Ces ressources peuvent vous offrir des conseils pratiques et un soutien émotionnel pour surmonter les obstacles.
Enfin, il est important de noter que toute instrumentalisation de ces principes mène à des comportements manipulateurs, que cela soit conscient ou non. Une fausse information exclusive : tromperie. Un engagement non librement consenti : contrainte. Un compliment non sincère : manipulation etc. En plus d’être moralement répréhensibles, de nombreuses études ont démontré que ces comportements sont contre-productifs (coucou le principe de réciprocité) et ne permettent pas de créer des relations professionnelles durables.
En résumé, soyez honnêtes, sincères et ouverts aux autres pour cultiver votre capacité de persuasion et créer un environnement d’échange professionnel sain.
Sources :
- Purchasing Behavior in Embedded, Markets Jonathan K. Frenzen and Harry L. Davis - Journal of Consumer Research (Jun., 1990)
- Selling as a Dyadic Relationship – A New Approach, F. B. Evans - American Behavioral Scientist (1963)
- Interpersonal Attraction, Addison-Wesley (1978)
- On Doing the Decision: Effects of Active versus Passive Choice on Commitment and Self-Perception, Delia Cioffi, Randy Garner - Personality and Social Psychology Bulletin (1996)
- Newspaper Effects on Policy Preferences, Donald L. Jordan - The Public Opinion Quarterly (Summer, 1993)
- Gain/Loss Asymmetry in Risky Intertemporal Choice, Shelley Marjorie K. - Organizational Behavior and Human Decision Processes (July 1994)